QUESTIONNAIRE DE PROUST
Version 1984
quel est pour vous le comble de la misere ?
la disgrace
quel est votre reve de bonheur ?
la grace
quel est le principal trait de votre caractere ?
les traces que les autres ont laissees
quel est votre principal defaut ?
ma faiblesse, mon orgueil, ma jalousie, ma fierte, mon insecurite, ma lachete, mon egoisme, ma possessivite, mon exclusivite, ma nostalgie...
quelle est la qualite que vous preferez chez l'homme ?
qu'il m'aime
et chez la femme ?
sa souffrance
pour quelles fautes avez-vous le plus d'indulgence ?
les crimes de coeur
quel don de la nature aimeriez-vous avoir ?
... "un tutu" de garçon !
qui auriez-vous aimé etre ?
moi, enfant
quels sont vos heros et heroines de cinema ou de litterature preferes ?
madame de..., richard II, peter pan, l'elleonore de "adolphe" de benjamin constant, la reine de "blanche-neige", judas, sainte jeanne, anne frank
quels sont vos heros et heroines de la vie reelle preferes ?
les anges anonymes
quel est votre metteur en scene prefere ?
dieu
quels sont vos acteurs et actrices preferes ?
les anges dechus
que detestez-vous par dessus tout ?
la solitude
comment aimeriez-vous mourir ?
la premiere
Version 2015
Le bonheur parfait, selon vous ?
Le bonheur des autres.
Ce qui vous rend la plus heureuse ?
Que mes filles, Kate, Charlotte et Lou, soient gaies, affirmées et heureuses.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Que Kate, Charlotte et Lou soient tristes, perdues ou malheureuses.
Quel est le principal trait de votre caractère ?
La spontanéité.
Et celui dont vous êtes le moins fière ?
Ma lâcheté.
La qualité que vous préférez chez une femme ?
Son humour et son courage.
Et chez un homme ?
Son courage. Et son humour.
La figure historique à laquelle vous auriez aimé ressembler ?
Job Mainguy, un Français inconnu et modeste, qui a été un héros dans la Résistance contre le nazisme. Votre héros de fiction préféré ?
La Bête, dans La Belle et la Bête. Votre boisson préférée ?
Le café, « couleur café » .
Votre compositeur de musique préféré ? Le vent.
Vos peintres favoris ?
Vuillard, Turner, Papa, Bacon, les dessins d’Annie, Goya, Lou par Charlotte, Betty par Lou, Vélasquez et Lucian Freund…
Vos auteurs favoris ?
Les frères Jean et Olivier Rolin. Olivier est un personnage important pour moi. Je l’ai rencontré dans un tank à Sarajevo. Il m’a sauvé la vie.
Et votre livre de chevet ?
Le dictionnaire.
Votre film culte ?
La Garçonnière, de Billy Wilder.
Ce que vous voudriez être ?
Infirmière. J’aime faire des pansements, même aux gens qui ne sont pas malades.
La couleur que vous aimez ?
La couleur des huîtres.
Et la fleur que vous préférez ?
Celle que les enfants ont cueillie pour moi.
Votre occupation préférée ?
Changer les couches des bébés.
Votre plus grand regret ?
Avoir perdu mon enfance.
Que détestez-vous par-dessus tout ?
L’indifférence.
Les fautes qui vous inspirent le plus d’indulgence ?
Les miennes.
Comment aimeriez-vous mourir ?
La première.
État présent de votre esprit ?
Agitée du bocal.
Votre devise ?
Souris, et le monde sourit avec toi. Pleure, et tu pleures tout seul.
JANE, GAINSBOURG, ET ENCORE JANE
(Entretien avec Jane Birkin pour Le Monde du 1er Mars 2001)
Dix ans après sa mort, Serge Gainsbourg continue de fasciner. Compagne et égérie des années 1970, Jane Birkin est entrée dans le mythe de " l'homme à la tête de chou ". Pour " Le Monde ", elle a accepté de raconter ces années passées auprès du chanteur, du tournage de " La Piscine ", pendant que Serge la couvait à Saint-Tropez, craignant qu'Alain Delon ne lui souffle sa belle, jusqu'à la rupture. Une vie de chansons et de passions, que Jane regarde avec douceur, douleur parfois. De Lucien Ginzburg, l'intellectuel russe à petites lunettes rondes, au Gainsbarre provocateur et couvert de succès que pleuraient les enfants au cimetière du Montparnasse, Birkin raconte l'itinéraire d'un artiste touché par la grâce, un enchanteur de mots et de notes. Une autre Birkin transparaît, une lady héroïne après Gainsbourg, remplie de ses souvenirs d'enfance.
ELLE parle, elle parle, Jane, Lady Jane, la voix perchée comme un chat, demi-lunes sur le nez, au début elle a l'air fatiguée, un peu lasse, et puis soudain, à force de parler de lui de peur qu'on la pousse à la faire parler d'elle, son visage se métamorphose, un sourire se dessine, le regard rayonne, la voix ronronne, c'est Jane qui parle de Gainsbourg. Elle s'efface, se tient sur la face B, B comme Birkin, face B d'une vie rêvée, qui ne fut pas toujours un rêve, avec " l'homme à la tête de chou ". Des souvenirs à la pelle comme dans une chanson de Prévert et Cosma..
Ça commence dans une auto sur la route de la Bretagne, début des années 1980, Gainsbourg va reposer un cœur en capilotade, ils roulent, Jane au volant et lui " à la place du mort ", ce sont ses mots, derrière suit un taxi avec les enfants, il n'a pas confiance quand Jane conduit. Il a raison, la voiture fume pendant des kilomètres, évidemment, elle a laissé le frein à main.
Ils arrivent dans un petit village qui s'appelle Josselin et là, à la devanture d'une mercerie, ils tombent en arrêt devant la statuette d'un petit négro – entendre Birkin prononcer le mot " négro " avec une sorte de " w " ouaté à la place du " r " a quelque chose de renversant –, ils stoppent et pénètrent dans ce magasin tranquille où veille un vieux monsieur derrière un bureau à la Dickens avec plume et encrier. Gainsbourg est fou de la statuette, mais elle n'est pas à vendre. Le vieil homme, une sorte de Geppetto, explique poliment que justement, il est vieux. Et que chaque jour des grappes d'enfants viennent coller leurs joues à sa vitrine pour admirer le petit négro. S'il s'en sépare, c'en sera fini de cette jeunesse au pas de sa porte. Serge dit à Jane que tout le monde peut être acheté. Il avait offert 1 000 francs, il en sort le double." Là, je savais qu'il était foutu. " Le bonhomme entre en conciliabule avec sa femme. Le verdict tombe, il est d'accord. Le couple part avec son " triste petit paquet ", enveloppé avec du papier de soie. " Le lendemain, raconte Birkin, on a voulu retrouver la mercerie. On n'a pas réussi. " Comme si la statuette arrachée à son socle d'enfants avait disparu ou, pire, était devenue invisible. " Au début, ce petit négro était une pièce maîtresse dans l'appartement de Serge, rue de Verneuil, posée sur le piano. Mais après, il l'a glissée sous le lit à baldaquin... "
Elle en raconte pas mel des " comme ça ", Jane Birkin, dans un désordre à tout casser. Au tout début des années 70, il l'aime, elle l'aime, mais un homme l'a déjà laissée, qui s'appelait John Barry, grand musicien de cinéma, deux Oscars à Hollywood, père de sa fille Kate. Elle ne veut pas être une fille éprise " qui pue la peur d'être quittée ". Il lui faut un boulot, elle n'en a pas . Elle a sa chambre à l'hotel des Beaux-Arts. C'est décidé, demain elle rentre à Londres. Gainsbourg est venu la rejoindre avec une bougie. " On va pleurer tous les deux pour que tu restes?" Et toute la nuit, la bougie pleure la cire, Serge ne pleure pas pour rire.
Le matin, un appel de Jacques Deray, qui va tourner La Piscine en Provence, avec Maurice Ronet, Romy Schneider et Alain Delon. Il veut tester Birkin, voir si elle n'est pas trop grande face à la star. Elle part. Le casting est concluant. La voilà lancée. Mais Gainsbourg accourt à Saint-Tropez, " avec une énorme voiture de location, la plus grosse qu'il avit pu trouver, qui ne passait pas dans les rues du village, se soubient Birkin.. Pour lui, Delon, c'était " attention danger ", beauté ambulante. Il a mis dans la voiture le landau de Kate, ses langes, pour que je n'oublie pas ".
Des autos, des taxis. A Paris, il ne conduisait pas, elle non plus. Il avait son abonnement aux G7, elle aussi. " Souvent, un taximan me raconte des bribes de Serge. L'un me montre ses dents en me disant : " Elles étaient gâtées, c'est Gainsbourg qui a sorti des biffetons pour que je les change, à condition de mettre un trompe-l'oeil pour qu'une ait encore l'air pourrie"....
Elle se demande si il ne se confiait pas à ses chauffeurs de hasard, à propos de sa santé, de ses angoisses de mourir. "Parfois l'un deux, prétend qu'il était suicidaire. Il aurait dit : " Je ne verrai pas Lulu grandir." " Elle aimerait savoir, pense que peut-être elle n'a pas su entendre, comprendre. Par petites touches, un autre Gainsbourg lui apparait encore au détour d'une course qu'elle paye au copteur comme si elle rachetait des morceaux de sa vie, pourboires compris. "J'aime ces moments, car sa me le rend. Le tout, ce n'est que des fragments. "
Quelqu'un lui a raconté que, dans sa jeunesse, quand il n'avait pas le sou, Serge entrait dans les cafés et s'allongeait en travers du billard. " Je ne bouge pas tant que vous ne m'avez pas payé un coup ", lançait-il aux joueurs. Affreusement timide, c"lui que les prostituées " envoyaient balader " avait dit à Jane : " Je voudrais ressembler à Robert Taylor. "" Elle s'était éxclamée : " Quel ennnui ! "
Tout d'un coup passe un train, un petit train d'enfant qui roule sous son lit dans un hotel de Dubrovnik, avec des wagonnets remplis de vodka, Gainsbourg aux manettes. " J'étais au bonheur. " Au début, avec Serge, c'éait drôle. Les soirées chez Madame Arthuer, où tous les musiciens le connaissaient. " Il plongeait des billets dans l'$ame des violons en disant : " Prenez, c'est des putes ça aussi ! "" Plus tard ce fut moins drôle, l'Elysée-Matignon chaque soir, l'alcool et le piano sur lequel il se jetait jusqu'à nl'aube, elle finissait par s'endormir sur une banquette, elle avait épousé Frédéric Chopin. " La vie avec Serge avit été très simple et trè douce. Mais vers la fin, ce n'était pas simple et pas doux. "
Un petit matin qu'il était bien éméché, elle le regardait tâtonner, sa clé à la main, incapable de trouver la serrure.. Il était penché, près d'une arête en bois sculptée dans la porte. Au lei de l'aider, elle l'a poussé. Le sans a coulé sur l'arcade sourcilière. "Je m'en suis tellement voulu, je n'ai pas osé lui dire tout de suite que c'était ma faute. " Le lendemain, il se demandait comment il avait pu s'amocher comme ça.
Quand elle avait quinze ans, Jane était déjà venue à Paris comme jeune fille au pair. Elle avait vécu quelques temps dans l'immeuble de l'avenue Bugeaud où habitait Piaf. Elle croit qu'elle a pu voir Serge ici pour la première fosi. Quand ils se sont vraiment connus, elle a craqué pour le "Ginsburg" qui sommeillait en lui, ses lunettes rondes d'intellectuel. Il était presque imberbe et tiré à quatre épingles. " C'est moi qui lui ai dit de se laisser pousser une barbe de trois jours. Je trouve que les hommes mal rasés donnent envie qu'on s'occupe d'eux. " Ils se sont occupés l'un de l'autre, lui l'enchanteur, et elle la chanteuse.
Pour la famille Birkin, de l'autre côté du Channel, on devine la révolution en voyant leur fille poser nue dans LUI. " Ma mère jouait au théâtre et refusaut des rôles avec Peter O'Toole sous prétexte qu'il y avait un gros mot dans les dialogues. Elle était très belle, comment pouvais-je avoir l'audace d'exister à côté d'elle... " Le père était une figure du commandeur, ancien héros de la Deuxième Guerre Mondiale, qui avait débarqué en France pour la Libération. Entre Serge et lui naquit une relayion d'exception que décrit ainsi Birkin : " Ils étaient tous les deux assez malins pour comprendre qu'ils devaient s'aimer beaucoup pour moi. " Jane se souvient d'interminables conversations entre eux, d'autant plus longues, le soir, que le Mandrax commençait à faire effet... Le père de Jane Birkin est mort quatre jours après Gainsbourg. Un double deuil ? " Ma jeune soeur m'a dit, soubiens-toi, Serge disait : quand je mourrai, je passerai prendre ton père. "
Une voix reste dans le creux de son oreille, le message sur le répondeur de Gainsbourg : "Etre ou ne pas être. Question. Réponse. " Tout à coup, un bruit curieux dans l'appartement. Sur la porte d'entrée, une plaque indique " chat bizarre ", C'est le chat bizarre. "Un serial killer ", souffle Jane, il me rapporte chacune de ses proies. " Ce jour_là, Jane est bouleversée. Pour la première fois depuis dix ans, elle est allée rue de Verneuil, elle est retournée dans "sa" salle de bains, là où elle a vu Gainsbourg " mort, terriblement mort "" . Elle en est revenue chavirée. Elle revit cette nuit de douleur, une moment avec Bambou, " une femme impeccable ". Elle se souvient. Avec Serge, j'ai basculé dans une sorte d'enfance. On était les acteurs principaux d'un film sans caméra. Il m'emmenait chez Saint-Laurent choisir une robe de soirée, c'était juste pour nous. De l'innocence. J'avais attrapé un enfant... " Un silence. Elle est encore rue de Verneuil. Cet appartement... " Serge ne comprenait pas les choses qui changent. On ne pouvait rien bouger, pas toucher au piano. Quand Charlotte a grandi, son lit était trop petit, ses pieds dépassaient à traver les barreaux. Il a dit mets-là en soquettes"...
Un ange passe. Jane est à Addis-Abeda, une soirée de poésie autour de Rimbaud. Elle n'avait rien préparé, la voilà au milieu d'une assistance qui récite des vers. " Je suis sorie, et sur du papier cul, j'ai écrit quelques passages de " Fuir le bonheur " : " Croire en Dieu, croire aux cieux, même quand tout vous semble odieux ". Quelqu'un a demandé " C'est Apolinaire ? "" J'ai répondu : "Non, c'est Gainsbourg. " "
Après la rupture, il y a eu des chansons, encore des chansons, le magnifique album de Dessous chics. " Je jouais au théâtre Quelque part dans cette vie. Tous les soirs Pierre Dux mourait dans mes bras. Et Serge m'a dit : " Il faut enregistrer maintenant. " J'étais épuisée. Il a réservé les studios. Pour lui, il n'était pas question de décommmander les musiciens. Il n'était pas du genre à faire attendre les gens qui travaillaient avec lui. Alors, le studio était prêt pour le lundi. Le dimanche soir, il est venu me voir. Il n'avait encore rien écrit... Puis il s'y est mis, deux chansons par jour, ou plutôt par nuit. C'était trop dur car il me faisait chanter des choses de nous. " Adieu, petite Jane, j'vais refaire ma vie ", je voyais ses yeux tristes derrière la bulle de verre. "
Elle se met à fredonner : " Con, ces con, ces conséquences, c'est con qu'on se quitte, faut se rendre à l'évidence, les anges sont hermaphrodites. " Une densité de cristal, dans la pièce, la clarté du cristal sur le visage de Jane, la fragilité du cristal dans cette voix sortie d'outre-mémoire. " Quand j'ai fait le Bataclan, j'ai dit à Serge : " Je ne me maquille pas, je ne mets pas d'habits sexy, je serai en garçon et je vais couper mes cheveux. " Je voulais donner une surprise totale, chanter comme il n'aurait jamais cru que je pouvais chanter. Serge était contre ces choix. Il me répétait : " Il faut que tu fasses la lionne, que tu remues ta crinière, que tu mouilles ta bouche avec ta langue. " Quand il a vu que Jane serait inflexible, il a eu ce sursaut : " Alors, c'est moi qui te coupeles cheveux. " Il est venu au Bataclan et n'a laissé à personne le soin de couper la chevelure de sa lady héroïne. " Le soir de la première, au premier rang, il allumait son briquet et engueulait les gens qui tardaient à l'imiter. " Ce n'était plus l'amour, ça y ressemblait. " On se racontait les potins, Serge adorait ça. " Elle continuait d'aimer Ginsburg, l'artiste immigré, le timide aux chevilles fragiles, lui était devenu Gainsbarre. " Je me souviens quand je l'ai vu avec ses rastas. Il a conquis le public qu'il n'avait jamais eu auparavant et moi, à cet instant, je me suis dit : je l'ai perdu, même si je l'ai quitté après. "
Jane se souvient des obsèques au cimetière du Montparnasse, tous ces jeunes, qui étaient là, qu'il n'aurait pas séduit avec " Le Poinçonneur des Lilas ". Les disques d'or et de platine sont venus sur le tard, avec ce dédoublement. Désormais, il était à tout le monde. Il a eu raison. Il se savait aimé. Je ne savais pas comprendre cette personne-là. Gainsbarre cachait Gainsbourg qui cachait Ginsburg, et moi je voulais qu'il reste l'intellectuel russe avec ses petites lunettes. Tous ces petits enfants qui le suivaient au cimetière, il les a eus en devenant Gainsbarre. "
Bien sûr, il reste quelques petites blessures. " Quand on était ensemble, il me faisait choisir en priorité les mélodies qu'il écrivait. Il me les jouait sur son piano, et je disais : " Oui, celle-là. " Un jour, nous étions séparés, je suis venue le voir. Il m' a fait écouter un air que j'ai voulu aussitôt, c'était Le Petit Pull marine. Il m'a dit : " Non, celui-là, c'est pour Adjani.... " "
Une autre rencontre avec Birkin, une autre émotion. Cette fois encore, le souvenir de Serge vient de la bruler. Charlotte a appelé en larmes, car une personne à qui elle faisait visiter la "rue de Verneuil " lui a dit sans ménagement que tout était moisi là-dedans. Ella a du consoler Charlotte, mais elle, Jane, semble inconsolable. Gainsbourg lui écrivait des chansons à gimmicks, jouait sur le franglais, " Mes caprices, il les a pris à coeur. "" Elle a joué la comédie sur le ton de la comédie alors qu'au fond d'elle, Birkin se vit plutot dans la tragédie. Elle sait que certains lui ont fait confiance dans ce dernier registre, elle cite Michel Piccoli, Patrice Chéreau. Elle chante au Japon, joue sur les planches, écrit elle-même des textes pour la scène comme Oh pardon tu dormais... pendant que sa mère, à quatre-vingt-cinq ans , a repris une carrière à Londres après la mort de son mari, emporté par Gainsbourg....
Elle essaiera encore de toucher avec des chansons, celles de Gainsbourg, celles écrites par d'autres, pour elle, des chansons qui lui ressemblent, les chansons ici et loin, au Rwanda, au Vietnam, en Birmanie. " Je n'ai pas peur de décevoir quelqu'un en face car il n'y a personne en face." Elle dit le début d'une chanson de Gainsbourg, ' Une chose entre autres que tu ne sais pas, tu a eu plus qu'une autre le meilleur de moi ". Et lui, le meilleur d'elle, encore vivnt, encore vibrant. A la fin d'une rencontre, sur le palier, elle hésite : "Tu me dirais si c'était.... ", elle a cherché le mot, " un désappointement ", voix qui se voile, regard inquiet. Comme si elle s'excusait de n'avoir eu " que ça " à dire, comme si ses mots pouvaient être décevants. La porte s'est refermée sur cette scène étrange de vous qui donnerit un trésor en vous remerciant de l'avoir pris.
JAMAIS JE N'AI VOULU CHOQUER
(Entretien avec Jane Birkin pour Télérama décembre 2014)
Jane Birkin remonte sur scène. Voilà un an qu’on ne l’y a plus vue. Un an, presque jour pour jour, qu’est décédée sa fille Kate, photographe née en 1967 de ses amours avec le compositeur britannique John Barry. Si Jane Birkin a accepté de rompre son silence, c’est pour interpréter, encore et toujours, des textes de Gainsbourg – qu’elle lit en compagnie de son ami Michel Piccoli et du comédien Hervé Pierre.
« Dans ce moment particulier, Serge me sauve un peu », souffle-t-elle avec cet accent sans lequel on ne l’imagine plus. Dans ses yeux, la tristesse a remplacé la candeur. Mais pas l’audace. En quarante-cinq ans d’une carrière musicale et cinématographique étonnamment dense (quatre-vingts films à son actif !), l’éternelle petite Anglaise aura multiplié les grands écarts, passant de Claude Zidi à Jacques Rivette, bousculant au passage plus d’un tabou.
Nous l’avons rencontrée chez elle, refuge parisien aux allures de cottage anglais. Ses murs sont tapissés de photos. Les visages de ses deux dernières filles, Charlotte Gainsbourg et Lou Doillon, y côtoient le reste du « clan Birkin ».
Comment allez-vous ?
Ça va. Mais, ces derniers mois, je suis beaucoup restée enfermée chez moi. Je regarde le papier peint. Ces lectures sont mes premières sorties professionnelles. Il paraît qu’il vaut mieux travailler que tourner en rond.
La scène est-elle une consolation face aux drames de l’existence ?
Oh non ! Rien ne peut consoler. En tant que mère, je n’ai plus confiance dans la vie. Avant, j’étais sûre que rien n’arriverait aux miens si j’étais auprès d’eux. J’avais la conviction démesurée que tout irait bien. Maintenant... Une panique nouvelle est apparue pour les autres enfants. Ça change une vie. Complètement.
Les premiers temps, je ne savais même plus faire la cuisine – ni toutes ces choses que je faisais les yeux fermés. Je suis pratiquement née avec Kate. Je suis venue en France avec elle. Chaque souvenir est teinté d’elle. De ce qu’elle a porté dans sa vie d’adulte, aussi : sa fantaisie extrême, sa drôlerie, sa générosité. Elle avait monté un centre pour toxicomanes et alcooliques. Quand elle avait 20 ans, elle-même était allée dans un endroit similaire en Angleterre ; à l’époque, ça l’avait sauvée. Et une fois guérie, elle avait voulu faire la même chose en France.
Je rencontre sans cesse des gens qui m’en parlent. Kate avait toujours du temps pour les autres. A sa mort, des boulangères sont venues m’embrasser dans la rue. Des gens m’ont saluée très gentiment. A ce moment-là, j’ai ressenti une grande tendresse.
Vous ne l’aviez jamais perçue avant ?
Si. La première fois : quand j’ai réalisé que Bardot suscitait la jalousie, alors que moi, c’était plutôt la sympathie. C’était sur le tournage de Don Juan 73, de Vadim. A cause d’un coup de fil qui l’avait bouleversée, Bardot avait pleuré et passé une nuit blanche. Le lendemain, des gens étaient contents de la voir désarmée, vieillie et malheureuse.
Elle représentait un danger ambulant pour les couples – alors que moi pas du tout. Elle était si belle... D’ailleurs, pendant ce film, j’ai cherché des erreurs sur son corps, et il n’y en avait pas ! Elle était également désarmante de non-ambition, ce que je trouvais formidable. Moi non plus, je n’avais pas d’ambition... Ma chance a été de rencontrer des gens qui en ont eu pour moi.
Gainsbourg le premier...
Il a pris tous mes défauts pour des qualités. Il m’a donné la confiance dont je manquais et est arrivé à faire quelque chose de moi. Quand je l’ai rencontré, je sortais d’un mariage assez désastreux avec John Barry ; Kate était encore bébé. Serge, lui, sortait de son histoire avec Bardot. Deux délaissés.
Nous nous sommes connus à Paris, sur le casting de Slogan, un film de Pierre Grimblat. Au départ, Serge était très désagréable. Il venait de faire un essai avec la sublime Marisa Berenson et se demandait pourquoi on lui envoyait une nunuche d’Angleterre ! Nos relations ont changé pendant le tournage : lors d’un dîner, je l’ai tiré sur la piste de danse, il a marché sur mes pieds... J’ai trouvé délicieux qu’un brillant compositeur ne sache pas danser.
Vous parliez déjà le français ?
Pas un mot ! J’apprenais mon texte en phonétique sur un magnéto. Je ne savais pas ce que je racontais ! C’est Serge, plus tard, qui m’a appris. Y compris l’argot...
Vos vies privées et professionnelles ont très vite fusionné.
Nous rentrions à 6 heures du matin pour prendre le petit déjeuner avec Kate et Charlotte. Ensuite je me couchais, et j’allais les chercher à la sortie de l’école... Je me souviens aussi d’un jour où Kate était partie en Angleterre. J’étais en larmes. J’ai retrouvé Serge en studio. Comme je reniflais encore pas mal, il a dit : « Au moins, que ça serve. Va pleurer dans la cabine d’enregistrement. » Ces sanglots, on les entend sur Je suis venu te dire que je m’en vais.
C’était aussi le temps des scandales, notamment avec Je t’aime... moi non plus, qui joue sur l’ambiguïté sexuelle.
Ça avait commencé dès 1966 avec Blow-up, d’Antonioni, qui avait fait scandale car on m’apercevait quelques secondes entièrement nue ! Quand on y pense, ça fait sourire... Pour Je t’aime... moi non plus, on a beaucoup rigolé : le pape lui-même avait condamné la chanson en 1969. Serge disait que c’était notre meilleur attaché de presse.
Quant au film du même nom (1976), nous avons reçu des soutiens, et non des moindres – François Truffaut, entre autres. Le scandale est venu de ceux qui avaient des saletés dans la tête, notamment certains journalistes, très virulents. En tout cas, c’était esthétiquement réussi. Nous étions au summum de notre beauté.
Pour la France de l’époque, vous étiez très subversive. En aviez-vous conscience ?
Je ne crois pas. Enfin... Je ne voulais pas que mes parents entendent les soupirs que je pousse dans la chanson. Quand j’ai mis le disque devant eux, j’ai sciemment levé l’aiguille du pick-up... mais mon frère est arrivé et l’a rebaissée ! Cela dit, mes parents ont été d’une loyauté parfaite.
Ce fut plus compliqué avec les photos du magazine Lui, notamment celle où je pose dénudée, attachée à un radiateur. Ma mère n’a pas apprécié. Moi, je n’avais pas vu le problème, puisque Serge faisait la mise en scène, j’étais contente de réaliser l’un de ses fantasmes. Et je n’avais pas songé que les photos iraient jusqu’en Angleterre... Quelle idiote !
Idem en 1984 avec le film La Pirate, de Jacques Doillon : vous y étiez amoureuse à la fois d’un homme et d’une femme, ce qui avait provoqué un tollé à Cannes !
Je n’avais pas assisté à la projection. J’avais dû rentrer à Paris en catastrophe, car ma fille Lou était tombée dans un escalier et toutes ses dents étaient entrées dans ses gencives ! Puis, vers 10 heures du soir, quelqu’un m’appelle et me demande : « Que pensez-vous du scandale ? – Mais quel scandale, de quoi parlez-vous ? – De La Pirate : les gens ont sifflé, hurlé. »
Je suis retournée à Cannes pour la conférence de presse, et je pense que j’ai été très bien. Mieux même que dans le film. Au fond, c’était simple de répondre aux critiques et aux ricanements, car c’était une histoire d’amour, et personne ne peut juger ce genre de sentiments. Et puis Maruschka Detmers, avec qui je jouais dans le film, était tellement belle qu’il était facile pour moi de tomber amoureuse d’elle ! Dans les mois qui ont suivi, à Paris, je me souviens de femmes traversant la rue pour me dire : « Merci pour La Pirate »...
Malgré ces scandales, vous n’avez jamais suscité de rejet.
Peut-être parce que sincèrement je ne suis pas une provocatrice. Jamais je n’ai voulu choquer gratuitement. Sans doute aussi parce que les comédies de Claude Zidi, La moutarde me monte au nez ou La Course à l’échalote, m’ont rendue vraiment populaire... Et puis pendant plus de dix ans, avec Serge, j’ai eu une vie de famille très visible. Nous pouvions même poser au Salon de l’agriculture avec nos bébés dans les bras ! C’était rassurant.
Après votre rupture, Gainsbourg vous a écrit des chansons d’amour... tristes.
Elles reflétaient son chagrin. Je l’ai compris tout de suite avec des chansons comme Baby alone in Babylone... Une phrase des Dessous chics parle directement de lui : « La pudeur des sentiments maquillés outrageusement rouge sang »... Il dévoilait au public le visage provocateur du Gainsbarre brûlant ses billets de banque, tandis qu’il me faisait chanter des choses plus tendres. Et douloureuses. Je suis devenue la face B de lui-même. Ses chansons étaient des messages personnels qu’il m’adressait. Il nous est arrivé d’être en larmes tous les deux. Enregistrer Fuir le bonheur ou Quoi, c’était terrible.
Votre vie privée est alors devenue très privée.
J’avais rencontré Jacques Doillon, qui aime la discrétion. Et je ne voulais pas blesser Serge davantage en me montrant. Cela n’a pas toujours été simple. Il est arrivé que des journalistes mettent le pied dans l’encadrement de ma porte pour faire des photos...
Je changeais de comportement et les gens ne le comprenaient pas, c’est normal. Du coup, Lou a eu du chagrin de n’être pas aussi exposée que ses soeurs aînées ! Décidément, on ne fait jamais ce qu’il faudrait... Mais Kate et Charlotte avaient vécu un cauchemar à l’école. Ce n’est pas drôle de voir ses parents dans les magazines. Je ne voulais pas répéter les mêmes bêtises.
Et votre enfance, à vous, a-t-elle été protégée ?
J’ai le souvenir d’un paradis, ce qui est sans doute exagéré. J’avais une telle admiration pour mon père. Et pour mon frère. C’était idyllique.
Votre père a beaucoup compté...
Il avait été lieutenant dans la marine pendant la guerre. Les nuits sans lune, avec des courants féroces, il rejoignait la France en bateau, y déposait des résistants, en récupérait d’autres pour les ramener en Angleterre. François Mitterrand a raconté qu’il était monté sur son bateau... Il y a vingt ans, quand j’ai moi-même grimpé dans un véhicule blindé pour aller à Sarajevo rencontrer des étudiants, j’étais aux anges : j’avais l’impression de faire comme lui...
Après la guerre, mon père a acheté une ferme très loin de Londres, où nous avons vécu. Et quand je suis partie en France, il s’est mis à m’écrire tous les trois jours. Des « just keep in touch letters » – juste pour rester en contact. Je les ai toujours, et je les laisse traîner, pour avoir l’impression d’en recevoir encore de temps en temps. Etre aimée sans réserve, c’était fou. C’était mon père. Ma mère aussi m’aimait, avec des réserves parfois sur ce que je faisais. Elle est devenue très importante les dix dernières années de sa vie. A la mort de mon père, je l’ai trimbalée partout. C’était génial. Une femme très forte.
Une artiste, aussi.
Elle était comédienne et a raté plein d’occasions de faire des spectacles, car mon père était furieusement jaloux. A sa mort, elle a repris sa carrière. Pour mes filles, c’était une grand-mère exquise, croyant dans la vie. Je me rappelle sa devise : « Souris, et le monde sourit avec toi. Pleure, et tu pleures toute seule » – une chanson qu’elle entonnait pendant la guerre quand les bombes tombaient sur Londres. Elle ne se plaignait jamais.
Votre enfance a été heureuse jusqu’à l’internat, une étape traditionnelle des bonnes éducations anglaises.
Nous étions des numéros. Moi j’étais le 99, et ma petite soeur le 177. Que des filles parquées dans de petites maisons. Si la nôtre cumulait trop de mauvaises notes, nous étions toutes pénalisées... J’en avais plein, car j’étais tout le temps en retard. A 12 ans, je me sentais responsable de tous les échecs.
C’est là-bas que sont nés mes complexes. Les douches ne fermaient pas, et, comme j’étais plate, les autres me disaient : « Alors 99, toujours rien ? » Pour elles, j’étais « half-caste » (métisse), demi-garçon, demi-fille. Ce sont des choses qui restent. Comme la peur de décevoir.
Le succès ne les efface pas ?
Parfois, il les estompe.
Le cinéma vous a valu plusieurs nominations aux Césars. Vous tente-t-il toujours ?
En tant qu’actrice ? Non. Même si je suis flattée qu’on me demande encore, je ne me projette dans aucun rôle. Avec cet accent, c’est difficile d’incarner autre chose que soi-même.
On vous soupçonne de l’entretenir !
Il me navre, au contraire ! Sur le tournage de La Piscine (1969), Jacques Deray me mettait un crayon dans la bouche pour que j’articule mieux. J’étais très vexée. Aujourd’hui, je regrette de n’avoir pas plus travaillé. Et je comprends pourquoi Jacques Doillon était exaspéré par ma mauvaise grammaire. Avant de vivre avec moi, il pensait que j’exagérais ; après, il a vu la vraie catastrophe…
L’accent m’a fait rater des rôles. Vous m’auriez imaginée dans Le Retour de Martin Guerre sortir d’une hutte en plein Moyen Age ? J’aurais été forcément une espionne, pas une rustique se trouvant là par hasard. Depuis, j’ai fait des efforts réels – Patrice Chéreau, qui avait eu le courage de me solliciter pour sa Fausse Suivante, au théâtre, m’a beaucoup aidée. Mais l’accent est toujours là, et c’est ma faute.
Malgré tout, vous avez inventé une nouvelle façon de jouer, de chanter, et même une nouvelle forme de beauté…
J’ai reçu des lettres de filles disant qu’elles pouvaient désormais aborder la vie sans avoir de gros seins. Je suis contente d’avoir été un soulagement pour elles ! Pour le reste… Je ne pense pas avoir cassé les codes. Sauf pour la barbe de Serge, ça oui ! Je le trouvais trop lisse quand il se rasait de près, alors qu’une barbe de quatre-cinq jours, c’était très ravissant. Il a acheté une tondeuse pour bien l’entretenir. Et c’est moi qui lui ai fait porter des bijoux à la place d’une cravate. Je lui ai aussi demandé de garder les cheveux longs et de ne pas mettre de socquettes, parce que je n’aime pas ça. J’ai été à l’origine d’un certain style, c’est vrai, et je suis un peu contente de voir que d’autres garçons l’ont adopté.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Ma chance, c’est d’avoir Lou, Charlotte, et Roman, le fils de Kate. Charlotte est bouleversante et tellement crédible dans ses rôles... Je ne l’étais pas autant. Lou m’a sidérée avec ses chansons, sa façon maligne d’écrire. J’attends son deuxième disque. Ma carrière à moi fut une suite de rencontres et de hasards. Un projet en a entraîné un autre... Sans plan. Une vie assez chamboulée. Aujourd’hui, je ne sais pas où je vais. Mais je suis là. Il faut survivre à tout. Je n’ai pas l’intention de capituler.