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LE CINEMA ET MOI : DE BLOW UP A DON JUAN 73
(Entretien avec Jane Birkin pour le magazine Première en 2021)
Comment le cinéma est arrivé vers vous ?
Grâce à ma mère ! Actrice était le métier qu’elle avait toujours voulu faire mais que mon père – avec qui j’ai, moi, toujours eu un rapport magnifique car il fut le premier homme à rassurer la jeune fille que j’étais – le lui avait interdit. C’est elle qui m’a poussé à aller auditionner pour une pièce de théâtre quand j’avais 17 ans. Je suis arrivée en ayant totalement oublié le texte qu’elle m’avait fait apprendre. Mais ce n’était pas grave car le personnage de cette pièce de Graham Greene était une sourde- muette, symbole de l’innocence qui finira écrasée par un autobus et violée ! Et ils ont trouvé que j’étais parfaite pour le rôle car j’étais maladroite et parce que j’étais totalement confuse d’avoir oublié ce que j’aurais dû savoir par cœur. Donc à 17 ans, me voilà avec Sir Ralph Richardson dans le plus grand théâtre de Londres… alors que je n’avais vraiment rien fait pour le mériter. Puis, un soir, je suis dans une boîte de nuit quand je suis tombée sur Roman Polanski et John Barry qui m’ont dit qu’il y avait une audition pour cette comédie musicale. Par quelle audace on pense qu’on peut chanter, danser et jouer alors que je n’avais aucune expérience ? Mais là encore, j’ai eu l’affront de le faire !
Vous aviez déjà le cinéma en tête ?
Oui, c’est même ce dont j’avais le plus envie. Toute jeune, à 14 ou 15 ans, j’ai tourné dans le premier film de mon frère Andrew car son amoureuse Hayley Mills tournait un Disney. J’y mourais de tuberculose sur les falaises de Brighton ! Et puis il y a eu aussi ce voyage que j’avais fait à Rome en 1965 avec mon père, dont la cousine Pempie était mariée avec Carol Reed qui était en train de tourner L’Extase et l’agonie avec Charlton Heston. Et je me souviens avoir demandé à Carol s’il pensait que j’avais une chance de devenir un jour actrice. Il m’avait répondu : « ça dépend si la caméra tombe amoureuse de toi ». Chose que je ne pourrai découvrir que quelques années plus tard lors de l’audition pour Blow-up
Comment en avez-vous été informée ?
Par la fille de Pempie et Carol, Tracy, qui devait passer ces essais. Je n’avais aucune idée de ce en quoi ils allaient consister. Je suis allée au rendez- vous. Je me suis retrouvée face à un mur noir et on m’a donné une craie pour écrire mon nom tout en étant filmée pour voir si j’étais cinégénique. Comme je suis dyslexique, ça m’a demandé énormément de concentration ! (rires) Et tout en le faisant, je me demandais ce que je faisais là. Je trouvais ça ridicule. J’ai commencé à pleurer et à ce moment- là, un très chic bonhomme est arrivé dans la pièce et m’a dit : « c’est parfait. C’est tout ce que je voulais savoir. » C’était Antonioni. Un homme d’une grâce absolue. Il m’a alors pris à part pour me dire qu’il voulait savoir si j’étais émotive, qu’il allait me donner deux ou trois pages mais pas le scénario en entier et que le rôle allait demander d’être entièrement nue
Comment avez- vous réagi ?
J’ai dit que je ne savais pas quoi d
ire. Il m’a laissé le temps pour réfléchir… et peut- être demander à mon mari. C’est ce que j’ai fait. Pas pour avoir son autorisation car j’étais tout sauf une femme soumise. Mais pour avoir son avis. Et il a éclaté de rire en me disant que je n’oserai jamais car même dans notre intimité, j’éteignais toujours toutes les lumières. Tout en ajoutant ajouté que si j’arrivais finalement à le faire, ce serait sans doute pour le plus grand metteur en scène du monde ! Et il m’a expliqué qui était Antonioni dont je n’avais alors pas vu les films, comme Jacques (Doillon) le fera plus tard avec Rivette. J’ai donc accepté. Ce n’est pas le rôle de ma vie. En tout cas, il me semble que c’était impossible de savoir si j’étais intéressante ou pas. Le rôle était trop petit. Mais par la suite, Antonioni m’a très gracieusement appelé au fil de ma carrière y compris lors d’une émission de radio que je faisais en direct pour dire que, de son point de vue, je méritais d’avoir le prix d’interprétation à Cannes pour Dust ! C’était si généreux de sa part. Et à l’époque, j’étais persuadée que je ne pouvais être que rien pour lui. Ca m’a énormément touchée
Vous vous étiez sentie bien sur ce plateau ?
Non. C’est impossible de se sentir bien quand on doit se déshabiller devant deux ou trois caméras. C’était un tel bordel que je ne me souviens plus précisément, si ce n’est qu’on avait dû enlever les vitres car des gamins grimpaient aux lampadaires pour regarder ce qui se passait ! Mon partenaire David Hemmings a vraiment été très attentionné avec moi. J’ai vu aussi le perfectionnisme d’Antonioni qui réglait la sueur sur le visage de David à la gouttelette près ! Même pour cette petite scène de rien du tout, j’ai eu l’impression d’être redessinée par cet architecte de l’image. Ca a duré un ou deux jours.
Mais dès lors, vous allez continuer régulièrement à tourner. Et le cinéma va bouleverser le cours de votre vie avec la rencontre de Gainsbourg sur Slogan de Pierre Grimblat. On raconte pourtant il n’était pas très heureux de vous avoir comme partenaire au début du tournage…
Oui et je comprenais à 100% ! Tout commence à Londres où je vais passer des essais dans le studio de David Puttnam. On était très nombreuses. Il fallait descendre des escaliers et j’ai tout de suite dit à Pierre Grimblat en mauvais français que je savais que mes jambes n’étaient pas extraordinaires mais que j’étais prête à subir une opération chirurgicale pour qu’elles soient moins arquées. Ca l’avait fait rire donc il m’a demandé de venir à Paris pour les essais suivants. Je lui ai dit que je ne pouvais pas car je devais rester en Angleterre m’occuper de ma fille Kate. Et finalement, j’y suis bien allée une semaine plus tard ! (rires)
Là encore, vous forcez votre destin !
Oui mais Grimblat avait vraiment insisté. Just Jaeckin qui m’avait vue ce jour- là avant que je descende le retrouver lui avait rassuré qu’il était la fille que j’attendais ! Une fois à Paris, j’ai essayé d’apprendre mes trois petites scènes en français en à peine une heure. J’ai prié pour avoir un mini- accident qui m’empêcherait d’arriver aux studios de Boulogne tellement je me sentais nulle de ne pas parler français et de ne pas comprendre ce que j’allais dire. Et en arrivant sur place, j’entends ce texte merveilleusement dit… par Marisa Berenson. Donc j’imagine le désarroi pour le pauvre Serge quand il m’a vue débarquer après cette sublime actrice qu’est Marisa. Une gourde incapable d’aligner trois mots de français. La seule chose que je faisais plutôt pas mal, c’était pleurer. Mais lui trouvait ça un peu dégoûtant de mêler sa vie personnelle et son rôle. J’ai revu ces essais récemment et je ne comprends toujours pas comment Pierre a pu me choisir. Sauf qu’une fois choisie, j’ai failli ne pas pouvoir revenir car c’était mai 68 à Paris et tout était bloqué. Finalement, j’ai pu revenir avec Kate, on logeait dans un petit hôtel avec mon frère qui lui faisait alors des repérages pour le Napoléon de Kubrick. D’ailleurs quand Serge m’a vu avec ce beau jeune homme, il a un temps cru que c’était mon fiancé et que j’étais ce genre de fille qui courait deux garçons à la fois. Andrew m’a gardé Kate et je suis partie tourner à Venise avec Serge. Mais c’est vraiment grâce à Grimblat que la glace a été rompue entre nous
Pour quelle raison ?
Je devais jouer une scène dans une baignoire où je devais paraître fou de bonheur dans ses bras. Mais dans le regard de Serge, depuis le début de tournage, je ne voyais que du mépris. J’ai dit à Pierre que je n’allais pas y arriver. Pierre m’a assuré que je me trompais, que Serge ne me méprisait mais que je l’intimidais. Alors il a organisé un dîner et s’est éclipsé pour nous laisser tous les deux. J’ai alors tiré Serge vers la piste de danse. Là il a marché sur mes pieds et j’ai compris que Pierre avait raison : tout était maladresse et charmant chez lui. Mais qui sait ce qui se serait passé sans ce dîner
On a l’impression qu’il va justement falloir attendre que vous tourniez sous sa direction dans Je t’aime moi non plus votre premier grand rôle pour que vous vous sentiez vraiment comédienne…
C’est vrai.
Même dans La Piscine de Jacques Deray, face à Alain Delon et Romy Schneider, vous n’aviez pas ressenti ça ?
Non. Sur ce projet, pour tout vous dire, j’étais d’abord surtout contente de pouvoir rester en France près de Serge. Car après Slogan, je devais rentrer à Londres car je ne voulais pas revivre ce que j’avais vécu auprès de John Barry : rester sans travailler aux côtés d’un génie. Je sais que la nuit avant mon départ Serge a pleuré toute la soirée de manière très dramatique devant une bougie de l’hôtel des Beaux- Arts ! (rires) Et puis on est allés dîner avec Grimblat et dans les escaliers, j’ai repéré un type un peu louche qui n’arrêtait pas de me regarder. C’était Jacques Deray ! Il était venu car Grimblat lui avait assuré qu’il avait trouvé la fille qu’il lui fallait pour le rôle. Me voilà donc partie le lendemain à Saint- Tropez pour rencontrer Alain et Romy et voir si je pouvais correspondre au rôle de la fille de Maurice Ronet. Et c’est parce qu’ils m’ont adoubée que je me suis retrouvée dans La Piscine. Mais une fois encore, je me sens comme une pièce rapportée. Et je le vis bien car je suis trop heureuse d’avoir avec moi Serge, Kate et mes parents. Honnêtement, je n’avais pas compris l’importance de mon rôle dans ce récit. Car sur le tournage, on ne voyait que Romy et Alain. C’était magnifique d’observer ce côté si profondément dense et érotique qui émanait d’eux, celui des ex- amants qui sans doute les dépassait.
Mais là encore vous ne vous sentiez pas à l’aise ?
Non mais aussi parce que Romy m’avait suggéré d’emmener Kate qui avait alors un an et demi sur le tournage puisqu’elle était venue avec son fils David et Alain avec Anthony qui avaient le même âge. Et puis un jour, je me suis fait engueuler par Deray car le tournage était ouvert à la presse et comme il voulait me faire passer pour une jeune fille de 18 ans, le fait que j’avais une enfant cassait son coup. Je me suis réfugiée dans les toilettes avec Kate et je refusais de sortir. Alors Romy est venue. Je lui ai expliqué ce qui s’est passé. Et elle m’a assuré que Jacques allait me demander pardon. Elle est allée le chercher et, à travers la porte, il l’a fait. C’était vraiment un film de mecs.
Quatre ans plus tard après La Piscine et le duo Delon- Romy Schneider, vous vous retrouvez face à un autre mythe : Brigitte Bardot dans Don Juan 73…
On était alors en vacances dans une maison que Serge avait loué à prix d’or pour nos deux familles : la sienne et la mienne. Et puis, le lendemain de notre arrivée, Vadim m’appelle pour me proposer le film. Alors on a laissé en plan les deux familles et on est rentrés à Paris. Et évidemment l’attrait de l’affaire était et reste Bardot. Un personnage tellement délicieux et dénué de toute ambition. Dans les scènes de nu, on ne savait pas quoi bien faire l’une et l’autre. Alors, je lui ai proposé de chanter une chanson… Et elle a commencé à fredonner… « Je t’aime moi non plus » ! Un moment inoubliable
C’était quand même fou de la retrouver ainsi… Vous pressentiez qu’elle allait arrêter sa carrière dans la foulée ?
Honnêtement non. Mais j’ai pu assister à une scène glaçante. On devait tourner quelques prises en extérieurs. Nos caravanes- loges étaient dans la rue. Et Vadim avait dû lui dire quelque chose de déplaisant au sujet des rushes de la veille. Elle pleurait beaucoup et alors que c’est elle qui faisait le clap, elle n’arrivait pas à articuler deux mots. Elle était en détresse. La scène avait lieu dans une voiture et quand on est sorties, en traversant la rue, j’ai vu les gens heureux de la voir malheureuse. Ca m’a sidérée ! Sans doute que cela a participé à son envie tout arrêter. Elle était si parfaite qu’elle représentait un danger pour beaucoup
LE CINEMA ET MOI : DE JE T'AIME MOI NON PLUS A LA PIRATE
(Entretien avec Jane Birkin pour le magazine Première en 2021)
En 1976, arrive le film de la bascule pour vous : Je t’aime moi non plus…
Oui avant de le tourner, je sais que ça allait être différent de tout ce que j’avais pu tourner jusque là. D’abord parce que je l’ai inspirée et aussi parce que, du coup, j’avais la certitude que personne ne pourrait mieux le jouer que moi. Ce qui ne m’était jamais arrivée jusque là. Dirk Bogarde avait été un temps pressenti pour le rôle mais Serge a eu raison de prendre Joe d’Alessandro. Sa jeunesse est essentielle au film. Je n’ai jamais vu des techniciens aussi dévoués sur un plateau tellement Serge était attentionné envers tous. C’était un tournage absolument idyllique. Serge admirait autant son équipe que son équipe l’admirait. Je porte une perruque car il ne voulait pas que je coupe mes cheveux. Sinon, j’aurais eu la même coupe donc la même tête dans Le Diable au cœur que je tournais juste après. Cette moumoute m’a aidée à devenir ce personnage. On était tellement dedans que j’ai failli y mourir étouffée quand Hugues Quester me met un sac plastique sur la tête et que Serge a mis du temps pour couper
Vous aviez conscience que ce film allait choquer ?
Je n’y pensais pas. Je mesurais juste la chance inouïe de pouvoir incarner un tel rôle. C’est ma maman qui m’a ramenée à cette réalité- là en me disant ce que je faisais dans un film qui était programmé à Londres dans un cinéma porno. J’ai eu beau lui expliquer que Truffaut avait dit d’aller voir le film de Serge avant son Argent de poche qui sortait en même temps ! Mais je comprends ma pauvre maman qui ne savait pas quoi dire à ses amis !
Quel metteur en scène était Gainsbourg ?
Il était comme un peintre et ses plans comme des tableaux. Je tenais à ce rôle comme si c’était du Shakespeare. C’est la première fois que j’ai pris plaisir à jouer
Dans ces années- là, vous faîtes aussi des comédies sous la direction de Claude Zidi, La moutarde me monte au nez et La Course à l’échalote… Vous vous sentez tout de suite à l’aise dans ce registre ?
Ma vraie joie fut de travailler les deux fois avec le même metteur en scène. C’était une première pour moi qu’on me refasse ainsi confiance. De ne pas avoir peur d’être virée à chaque instant. Qui plus est, les deux fois avec le merveilleux Pierre Richard. Quand Claude m’a engagée pour La moutarde me monte au nez, je lui avais dit qu’il devrait plutôt demander à une vraie star comme Bardot. Et là, il m’a dit : « après ce film, c’est vous qui allez être une star ». Donc je dois beaucoup à Claude. Pierre était si irrésistible. C’est drôle parce que la semaine dernière, un Russe m’a arrêté au bas de la rue pour me parler de ces deux films ! Ce sera génial de se retrouver à 80 ans chacun pour un film déconnant ! Je n’ai jamais eu un partenaire aussi aimé par le public
Et quel partenaire était Pierre Richard ?
Délicieux… parce qu’il avait peur de tout ! (rires) Je me souviens qu’il était venu me voir à Londres alors que des attentats de l’IRA frappaient la ville. Je l’avais transporté caché dans un trolley pour l’emmener dans le lit de Kate. Sa maladresse était merveilleuse aussi. Et que ces tournages étaient joyeux ! On allait au casino tous les soirs. Serge avait tellement bu qu’à chaque fois que le mec disait « rien ne va plus », il fonçait la tête la première dans le mur ! (rires) Tout était drôle et charmant. Sans doute parce que les gags étaient très physiques
Après Serge Gainsbourg, vous allez tourner plusieurs films avec un autre homme de votre vie, Jacques Doillon. Et là encore il y aura un scandale à Cannes en 1984 avec La Pirate. Vous vous y attendiez ?
De nouveau absolument pas ! Je me suis sentie comme la leader d’une cause essentielle qui dépassait un film. Des femmes sont venues me remercier pour avoir fait ce film. J’étais tellement fière. A Cannes, je pensais vraiment qu’on allait triompher au palmarès. Je suis donc restée jusqu’au dernier soir, certaine qu’on aurait un prix. Mais Dirk Bogarde, le président du Jury, avait détesté le film et on a été victime d’un flot de haine d’une partie de la presse où des cris, des insultes, des quolibets ont commencé dès mon premier baiser avec Marushka (Detmers) pour ne jamais prendre fin. Des gens sifflaient la musique de la pub Dim dès que Marushka se dénudait. Je me suis fait cracher dessus en sortant de la salle. On ne sait toujours pas d’où est venue cette cabale si ce n’est que ça a dû déranger les gens sur place. Mais de mon côté, c’est l’un des plus beaux textes que j’ai eu à défendre. Tout comme La Fille prodigue que j’ai tournée avec Jacques quatre ans plus tôt. C’est du Bergman. Elles feraient deux merveilleuses pièces de théâtre encore aujourd’hui
Quel directeur d’acteur était Jacques Doillon avec vous ?
C’est quelqu’un qui croyait que vous pouviez être un coureur de fond et un sauteur d’obstacles gigantesques et vous demandait des choses d’une complexité infinie pour vous prouver qu’il avait raison ! Il pouvait faire jusqu’à 80 prises de plans- séquence de 10 minutes et ce dans un seul but : pour que ses acteurs brillent. Les actrices sont toujours magnifiées chez lui. Et c’était le cas en moi. Dans La Fille prodigue avec Piccoli, que je considère comme mon père adoptif, La Pirate ou Comédie !. Et pour moi, comédienne un peu légère pas vraiment prise au sérieux, il m’a offert mes premiers drames. Jacques a vu en moi dans la vie quelqu’un de beaucoup plus déprimée et sombre que l’image que je projetais dans mes apparitions télé. J’ai aimé défendre ses textes et ma carrière a changé à partir de ce moment- là. On m’a prise au sérieux pour la première fois. Ainsi c’est après avoir vu La Pirate que Patrice Chéreau m’a demandé de jouer La Fausse suivante aux Amandiers. Mes débuts au théâtre.
Vous évoquiez votre rapport particulier avec Michel Piccoli. Comment l’aviez-vous rencontré ?
Il habitait rue de Verneuil comme Serge et moi. C’est lui qui a demandé à ce que je passe en 1975 les essais pour Sept morts sur ordonnance que j’ai fini par décrocher alors que personne ne pensait que je serais capable de jouer la femme de Depardieu dans ce si beau film. Jacques (Doillon) avait ensuite d’emblée pensé à lui pour La Fille prodigue et dans La Belle noiseuse, ce fut vraiment très naturel pour moi de jouer sa femme jalouse de lui et de sa relation avec le modèle que joue Emmanuelle Béart. Je peux dire que Michel faisait partie de ma famille. Je le respectais autant que je l’aimais. Il était tellement droit. Dès qu’il y avait un combat à mener, il répondait présent. C’est le seul que j’ai pu entraîner dans mon clip de soutien à Médecins du Monde et pour dénoncer la torture pendant la guerre en ex- Yougoslavie
LE CINEMA ET MOI : DE JANE B PAR AGNES V A JANE PAR CHARLOTTE
(Entretien avec Jane Birkin pour le magazine Première en 2021)
ans les années 80, bien avant votre fille Charlotte, c’est Agnès Varda qui vous consacre un documentaire, Jane B par Agnès V, sous forme de collage d'entretiens et de sketches. Et ce un an après avoir tourné Kung fu master sous sa direction. Qui a provoqué cette rencontre ?
Agnès s’est installée chez moi pendant presque deux ans. J’avais écrit un scénario sur un tout jeune garçon de 13 ans amoureux d’une femme de 40 ans. J’avais pensé à Chéreau pour le mettre en scène et de moi- même j’ai reculé car je ne voyais pas pourquoi Chéreau s’intéresserait à cette histoire. Et comme elle tournait ce documentaire à ce moment- là, je lui ai montré mon petit carnet. Je ne pense pas que ça l’intéressait plus que ça. Mais elle s’est juste dit que si ça m’apparaissait tellement important, cela avait à voir profondément avec mon caractère, avec ma nostalgie presque maladive du temps de l’enfance. Et elle avait raison. Elle avait su lire entre les lignes des choses que je n’avais pas vu moi- même. C’est pour ça qu’elle a accepté de réaliser Kung- fu Master et j’ai choisi son fils Mathieu pour jouer car il était idéal pour filmer les derniers pas d’un enfant avant de devenir un homme. Agnès l’a fait pour moi. Puis elle a enchaîné avec Jane B. par Agnès V.. Je n’ai pas revu le documentaire depuis des années mais je souviens comme si c’était hier de l’inventivité, de l’ingéniosité et du goût du partage d’Agnès. Je n’ai jamais connu quelqu’un mû par une telle curiosité. Quand on partait en voyage avec elle, il fallait visiter tous les musées. Pour elle une seconde sans apprendre ou découvrir était une seconde perdue. Et puis elle était gonflée et personne ne pouvait lui dire non
Vous avez un exemple ?
On était allés ensemble au festival Lumière de Lyon une année. J’avais repéré un petit hôtel charmant et Agnès, elle, n’a dès lors eu qu’un but : qu’on puisse dormir dans le lit de Louis Lumière et sa femme. Or, ce lit est dans le musée et évidemment pas prévu pour que quelqu’un y passe la nuit. Mais impossible n’était pas Agnès ! Donc on a bien dormi dans ce lit- là
Vous gardez un aussi bon souvenir de votre rencontre avec Godard sur Soigne ta droite ?
Non, ça c’était nul. Pour lui comme pour moi. La rencontre ne s’est pas faite. La seule chose qui avait un peu rendu la chose attractive est qu’il avait un gros rhume !
Et en 1990, Dirk Bogarde prévu pour être votre amant dans Je t’aime moi non plus devient votre père dans Daddy Nostalgie de Bertrand Tavernier. Au vu de la relation que vous évoquiez plus tôt avec votre propre père, ce film doit tenir une place à part dans votre carrière ?
Oh oui et je n’en reviens qu’il soit passé à la trappe, qu’il ne soit plus visible depuis des années à la télé. Sans doute parce qu’il fait un peu peur, parce qu’il nous confronte à ce qu’on redoute tous : ce coup de fil qui vous annonce que votre père est malade. On avait beau essayé en promo de dire que c’était aussi une comédie, personne n’était dupe ! Je ne remercierai jamais assez Bertrand pour ce film si sensible. Il m’a permis – et il reste le seul – à être à la fois anglaise et française. Et sur le plateau, chaque improvisation le rendait fou de joie. Bertrand était le premier spectateur enthousiaste de ses comédiens. C’est le seul tournage où je n’ai pas eu une seconde d’angoisse parce qu’il savait partager l’immense bonheur qu’il ressentait
Votre père était là sur le tournage ?
Oui. C’était troublant de voir mon vrai père regarder le faux. Et merveilleux aussi d’avoir Odette Laure pour maman
Et comment se sont passées vos retrouvailles avec Tavernier en 2013 le temps d’une scène de Quai d’Orsay où vous jouez un prix Nobel de la littérature ?
J’ai accepté juste pour le bonheur de tourner avec lui. C’était un dimanche, avec des bigoudis dans mes cheveux ! (rires)
Jacques Rivette fait aussi partie de ces cinéastes qui ont tourné plusieurs fois avec vous…
A notre premier rendez- vous pour parler de L’Amour par terre, il était venu me voir chez moi avec Geraldine Chaplin et sa productrice. Là, de manière très naturelle, je lui ai demandé à lire le scénario. Il m’a répondu de manière très charmante qu’il n’en avait pas. Il m’a ensuite demandé si j’aimais le cirque. Je lui ai répondu que je trouvais ça horrible, poussiéreux et ringard. Et j’ai ajouté que si on ne me donnait pas des rails pour jouer, j’allais tomber. Il est reparti dans les escaliers et une fois en bas, il s’est retourné et m’a lancé « je vous ai toujours aimée. J’ai toujours eu envie de travailler avec vous ». Des choses que j’avais eu envie entendre toute ma vie ! C’est là où Jacques a pointé sa tête et comprenant que je n’avais vu aucun de ses films, il m’a dit d’aller voir au plus vite Céline et Julie vont en bateau qui se jouait toujours dans un cinéma du Quartier Latin. Le titre m’a intrigué. J’ai pris Charlotte avec moi. Et en sortant, j’étais tellement émerveillée par l’originalité et la fantaisie de ce que je venais de voir que j’ai appelé Geraldine pour lui dire que j’allais accepter la proposition. Elle a appelé Jacques et c’est ainsi qu’a commencé notre merveilleuse aventure de trois films, avec La Belle Noiseuse et 36 vues du Pic Saint Loup.
Chez un autre maître Alain Resnais, dans On connaît la chanson, vous incarnez la femme de Jean- Pierre Bacri et vous avez la particularité d’y chanter… votre propre chanson Quoi …
Oui, c’était la chose la moins originale du film. Mais là encore la rencontre était très marrante. Alain était venu chez moi et j’avais mal dosé le café que je lui avais préparé. Il était très très fort. Le tout dans des grands mugs à l’américaine. Et quand il m’a rappelé plus tard, je lui ai demandé si je ne l’avais pas empoisonné. Et là il m’a raconté que quand il était jeune, son cœur battait trop longtemps et on le prenait pour un grand paresseux donc il m’a assuré que je lui avais fait le plus grand bien. C’était un amour. Et ce fut juste une journée de travail rigolote.
L’envie de passer à la mise en scène de cinéma vous taraudait depuis longtemps quand vous réalisez Boxes en 2007 ?
Ce film est né de questions que je me posais sur le fait de savoir si j’avais été une bonne mère ou non. Une question que je pose à ma mère dans le film, rôle qui était écrit pour ma propre mère, disparue trois ans plus tôt. Ce film me tenait à cœur car je pouvais y parler de mes trois filles jouées par Lou, Natacha Régnier qui incarnait Charlotte et la petite Adèle Exarchopoulos qui y faisait ses débuts au cinéma ! Je suis fière de l’avoir découverte. Et j’ai eu la chance inouïe que tous mes acteurs me disent oui tout de suite
Et vous confiez le rôle de votre père à Michel Piccoli…
Il m’a appelé un soir. Je lui expliquais que j’étais en train de préparer le découpage de mon film. Et là il me demande pourquoi je ne lui ai pas demandé de jouer dedans. Il était alors sur scène tous les soirs dans Le Roi Lear donc je n’avais pas osé. Il m’a alors expliqué qu’il était libre dans une semaine et a déboulé. Il a joué pour rien. J’avais demandé à Geraldine de jouer mon rôle mais elle se trouvait trop âgée et a préféré jouer ma mère qu’elle connaissait bien. Je ne pouvais trouver plus magique comme parents ! John Hurt, Tcheky Karyo, Maurice Bénichou, Annie Girardot pour ce qui restera comme son dernier rôle au cinéma bien qu’encombrée par son maladie d’Alzheimer aussi sont venus pour zéro euro. J’ai eu l’équipe technique de mes rêves. Vous vous rendez compte de ces preuves d’amour !
Vous vous sentiez comment en chef d’équipe ?
Vraiment très bien. Au départ, je ne pensais vraiment pas jouer mon rôle. J’avais demandé à Patricia Arquette mais elle était prise par un téléfilm. Je me suis donc retrouvée à le jouer et je pense que ça m’a aidé dans tout le travail avec les acteurs comme avec l’équipe
Quand elle se lance dans Jane par Charlotte, Charlotte raconte que vous n’étiez pas vraiment emballée à l’idée qu’elle fasse un documentaire sur vous. Pour quelle raison ?
C’est vrai ! En fait, la question n’était pas d’être pour ou contre l’idée de faire un documentaire sur moi. Au départ, je pensais qu’il allait s’agir d’un documentaire classique qui reviendrait sur mon parcours, de mes débuts dans une comédie musicale à 17 ans jusqu’à aujourd’hui. Sauf que dans la première scène que nous avons tourné ensemble à Tokyo, elle m’a emmené dans la maison d’Ozu et j’ai vu avec panique qu’elle avait un énorme dossier sous les bras ! Et quand elle m’a posé sa première question – pourquoi on n’est pas plus proches ? -, j’ai encore plus paniqué à l’idée des suivantes que contenait son dossier ! (rires) Donc j’ai décidé de tout arrêter car je ne me sentais pas livrer des choses aussi intimes devant une équipe de cinéma que je ne connaissais pas. Ca allait plus ressembler à Sonate d’automne qu’à autre chose. Je ne pouvais rien faire d’autre qu’imaginer toutes les choses que j’avais mal fait. Et je n’avais aucune envie d’arpenter ce chemin de croix.
Et pourquoi avez- vous malgré tout continué ?
D’abord j’ai été surprise de voir qu’elle était surprise que je puisse lui dire non ! Et puis, comme je suis partie donner une série de concerts, j’ai passé beaucoup de temps chez elle car elle y a vécu pendant 6 ans. Et là, on a finalement repris et je ne sais pas pourquoi, est- ce le fait d’être sur les toits ? – mais j’ai oublié l’équipe. Tout devenait en fait une excuse pour être ensemble et pur bonheur. Et là je me suis dit que si tout le reste est comme ça, c’est peut- être la manière pour elle que je puisse répondre aux questions qu’elle n’avait jamais osé me poser. Donc il fallait que je réponde présente. Là, j’ai compris que c’était avant tout un film sur un enfant en quête de sa place que sur ma personne ou ma carrière. Je crois que j’ai accepté ce documentaire pour qu’elle aille mieux. Et elle m’a dit des choses qui m’ont réellement bouleversée. Et en même temps, le propos est vraiment universel. Chaque famille pour s’y retrouver
Si quelqu’un faisait une fiction sur votre vie aujourd’hui, qui verriez- vous pour vous incarner ?
Valeria Bruni- Tedeschi et sa fantaisie incroyable. Je l’adore !
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