EXTRAITS DOSSIER DE PRESSE
INTERVIEW JANE BIRKIN
Pourquoi ce titre BOXES ?
Au début du fi lm, Anna, vient d’emménager dans une grande maison, elle se retrouve seule avec des centaines de cartons, mais bientôt surgissent des armoires, des portes, des balcons, ses enfants et ses ex-maris, fantômes ou vivants qui reviennent autour d’elle avec leur amour, et leurs reproches ; peut-être cherche–t-elle leur absolution, et le droit de vivre enfi n pour elle.
Comment et quand est née l’idée du fi lm ?
C’était il y a une dizaine d’années, je voulais écrire un fi lm sur la crise d’une femme de 45-50 ans et de cette vertigineuse terreur : à quoi être utile quand on cesse de pouvoir avoir des enfants ? Qu’est ce qui va se passer ? Comment ça va se passer ? Est-ce que quelqu’un m’aimerait si je n’avais pas cet encombrant passé ? C’était une grande question pour moi.
Pourquoi à ce moment-là ?
Quand j’ai décidé de faire ce film c’était aussi dans le même temps, ce moment précis où un homme vous trouve aimable, et qu’une adolescente rebelle le prend très mal, où les autres enfants trouvent que vous n’avez pas été claire sur les autres séparations, et fi nalement sur ce moment où tout le monde vous en veut de quelque chose.
Pourquoi cette question était-elle particulièrement angoissante à ce moment-là ?
Pour une femme, passé un certain âge, tu te rends compte que même si tu ne voulais pas d’autre enfant, même si tu avais eu exactement le nombre qu’il te fallait, que c’est absolument parfait, tu ne peux plus avoir d’enfant - même si tu le voulais ; alors que les pères à 55 ans découvrent la paternité avec joie, qu’ils sont parfois de meilleurs pères qu’il l’auraient été à 20 ans, qu’ils sont souvent plus séduisants, il y a là une injustice fl agrante de Dame Nature ; il y a une certaine évolution dans ce domaine, mais si tu essaies d’avoir la couverture de ELLE magazine à 60 ans, essaie toujours... A 45-50 ans, on est réduites à n’être que mère et grand-mère, avec cette énorme mélancolie, de n’être que ça, et quand vient un nouvel amour, c’est vrai que tout d’un coup cette palpitation de votre cœur qui bat plus vite... On devient légère, légère, avec les autres aussi, et tout le monde vous dit : mais qu’avez-vous ? Quelqu’un m’a embrassée...
Bande annonce Boxes (2007)
J'ai rêvé d'être dans tes bras comme ça, l'autre nuit, et je me suis dit : "Est-ce qu'il aurait aimé ce que je suis devenue , ce que je suis maintenant ?"
Je n'en peux plus des souvenirs, ma tête en est pleine, vous êtes partout! Pas un endroit sur terre qui ne soit hanté par vous.
- Vous me voyez le dos cassé avec les courses et vous ne vous bougiez pas le cul !
- Mais non ... ça t'aurait coupé le plaisir
.... de souffrir...
Et dans les relations avec les enfants, quelle question vous posiez–vous ?
L’éternelle question : « avez-vous été une bonne mère ? ». On veut être la mère la plus absolument proche de ses enfants mais à chaque génération, il y a les mêmes reproches ; je me suis souvenu alors que ma mère m’avait aidée quand je débutais au théâtre, je me suis rendue compte comme les souvenirs que tu gardes sont cruels. Je me critique pas mal dans le fi lm plus que mes enfants ne m’ont critiquée et elles ne m’ont pas fait plus de reproches que je ne me suis faits à moi-même. Si on a eu la chance de pouvoir dire à sa mère : tu as été une mère parfaite, et qu’elle se soit éteinte sur cette assurance là... Il y a des gens qui sont très sûrs d’eux et qui pensent avoir fait tout formidablement bien mais je n’étais pas dans cette catégorie et beaucoup plus dans le questionnement : est-ce que j’ai bien fait ? Est-ce que j’ai toujours bien fait ? Est-ce que je n’aurais pas dû être beaucoup plus envahissante ? Est-ce que j’aurais du « violer » des enfants qui souhaitaient être un peu secrètes ? Comme il est dit dans le fi lm : « les enfants ne sont pas livrés avec le mode d’emploi », donc c’est vrai que tu te débrouilles comme tu peux et c’est bien plus tard que tu te rends compte que ce qui vous paraissait pénible, en fait ne l’était pas, pour les enfants la peine venait d’ailleurs... Je pense que les enfants veulent avoir des parents parfaits...
Pourquoi vos enfants vous demandent de leur dire si elles sont jolies et si elles ne vous ont pas déçue ?
C’est ce que les enfants veulent savoir... J’avais demandé à ma mère, qu’elle me dise si j’étais jolie, si j’étais exactement ce qu’elle avait espéré, pour mon père je n’en ai jamais douté mais ce n’était pas assez, il fallait que maman le dise aussi, on est vraiment des chiens !...
ONPC (2007) (France 2)
Et quand il y a plusieurs pères, est-ce plus compliqué avec les enfants ?
Il y a de moins en moins de parents qui vivent avec la personne avec qui ils ont eu leur premier enfant ; les enfants veulent être désirés par leur père et par leur mère et j’ai mis dans le fi lm cette souffrance possible d’un enfant à qui on n’a pas parlé de son père ou si peu... C’est vrai qu’on a du mal à comprendre les points de vue des autres, et parfois, dans une conversation, tu comprends une blessure faite il y a des années ou que tu continues de faire... jusqu’à ta mort... Il me semble que le seul salut c’est la mort !
Est-ce que cela crée beaucoup de regrets ?
Regrets de tous ces moments où on s’en veut de ne pas avoir été là, par le hasard d’un avion, ou peut-être a-t-on essayé de te joindre au téléphone, tous ces hasards et mélanges de la vie où on n’a pas été au bon endroit au bon moment, et que tu te reproches. Parfois une journée vaut des années, les mots qu’on aurait dû dire et qu’on n’a pas dit, on les retrouve dans une lettre ou dans un journal intime.
Pourquoi faire revivre à l’écran des personnes disparues ?
Je me suis dit quand j’ai écrit le scénario qu’il n’y avait pas de raison pour que les gens morts ne reviennent pas, avec leurs reproches et aussi leur réconfort ; savoir que les morts ne vous quittent jamais, cela j’en suis absolument sûre. Que les morts puissent revenir et te dire : « ça va... Tu peux t’arrêter maintenant ». Juste cet apaisement... Les fantômes sont avec nous, et ils nous réconfortent, ils sont toujours là, même si nous ne pourrons plus jamais retrouver exactement le tracé d’un nez, d’un front, d’un joli cou... Nous en sommes privés à jamais comme toutes les personnes qui sont en deuil de leur mari, de leur père, de leur mère, de leur enfant. Je crois fermement qu’on porte les gens qui ont été si importants pour nous, ou peut-être est-ce eux qui nous portent...
Qui sont les personnes âgées qui traversent votre fi lm ?
Ce sont des gens que j’ai rencontrés à une époque et que j’adorais ; Petit Veuf, Joséphine... Je me confi ais à eux quand j’avais des secrets ; Joséphine vivait dans un cabanon en face de ma maison ; je l’ai suivie jusqu’à la fi n de sa vie ; madame X aussi qui ne fi nissait jamais ses phrases... J’ai mélangé l’histoire de ces vieilles dames parce qu’elles faisaient partie de ma vie.
Souris,
et le monde sourit avec toi !
Pleure...
et tu pleures seule !
J'étais là, moi... j'étais ta lumière dans la nuit, un petit phare, je t'ai gardée, protégée... jamais tu n'étais seule.
Le cercle de minuit (2007) (France 3)
d'accord, je n'étais pas parfaite,
vous non plus,
vous étiez livrées sans mode d'emploi !
Pourquoi le fi lm a-t-il mis dix ans à se faire ?
Parce que personne ne voulait de nous, personne, aucune chaîne. Peut-être le scénario était un peu laborieux, et que l’interprétation des acteurs a fait que c’est devenu plus léger qu’à l’indigeste lecture. C’est bien que le fi lm ait mis dix ans à se faire, je ne suis plus la personne que j’étais il y a dix ans. J’ai renoncé à l’idée que quelqu’un peut vous attendre à la porte !
Quelles étaient vos idées pour la distribution des rôles ?
Je ne voulais pas jouer le rôle d’Anna, j’avais demandé à d’autres actrices, mais un ami, Pierre Chevallier m’a dit : « cette fois-ci c’est ton fi lm, joue-le ». J’avais demandé à Géraldine Chaplin de jouer le rôle mais elle m’a dit que je l’avais ratée de dix ans mais qu’elle aimerait beaucoup jouer ma mère ; quant à Michel Piccoli, qui était un père parfait, il s’est lui-même proposé au téléphone ! John Hurt m’a dit oui dans la nuit, demandant seulement s’il pourrait manger quelque chose et avoir un coussin pour dormir !... Tchéky Karyo donne cet aspect à la fois charnel et doux ; quand j’ai donné le rôle de Max à Maurice Bénichou, il m’a dit : « si tu me confi es Max, tu ne le regretteras pas ». Pour la fi lle aînée j’avais toujours pensé à Natacha Régnier, c’était une évidence ; j’ai confi é le rôle de Camille à Lou, cela me semblait juste ; avec Mic Cheminal (la costumière), nous l’avons vêtue en deuil, je la savais souveraine, avec une capacité d’émotion, de retenue aussi ; la petite Adèle, qui joue Lilly, cet elfe, je savais qu’elle avait en elle les ressorts de comique qu’ont souvent les tragédiennes. Je voulais que ce soit un fi lm de fi lles et de femmes... Une question pour toutes les mères et pour outremer
François Catonné parle de son travail sur "Boxes" de Jane Birkin
Je connais Jane depuis plus de 15 ans. Nous avons tourné ensemble son premier film comme réalisatrice, un téléfilm pour Arte : Oh ! pardon, tu dormais ! Elle m’avait donné deux cassettes vidéo : elle avait filmé l’histoire presque en un plan, avec deux étudiants comédiens, et m’avait dit : « Voilà ce que je veux faire ! ». Elle avait été surprise que je prenne sa méthode très au sérieux. Au tournage, elle m’avait enthousiasmé, par ses talents de metteur en scène, son sens de l’image, par sa précision pour placer la caméra. Et j’attendais donc depuis longtemps de refaire un film avec elle.
Boxes est un projet qui a mis 14 ans pour voir le jour. Et je suis très heureux qu’il soit sélectionné à Cannes et qu’enfin il paraisse digne d’intérêt ! Je dis cela parce que personne n’a voulu financer ce film ! Pas une chaîne de télévision, pas un partenaire financier, pas un distributeur. Pourtant, Jane a réuni un certain nombre d’acteurs : Michel Piccoli, John Hurt, Géraldine Chaplin, Annie Girardot, Lou Doillon, Natacha Régnier, Maurice Bénichou, Tchéky Karyo, Jane elle-même dans le rôle d’un personnage qui lui ressemble beaucoup. Tous ces comédiens lui ont fait confiance. Mais le film a dû se faire en 4 semaines, avec peu de personnel, peu de matériel et en 16 mm. Quatorze ans que ce film attendait qu’un courageux comme Emmanuel Giraud (Les Films de la croisade) le produise finalement à crédit.
Cette histoire de personnages qui surgissent du passé, et d’autres qui sont dans le présent t’a amené à créer des effets particuliers ?
Non, pas du tout. Ce n’est pas un film fantastique. Les personnages disparus rencontrent ceux qui sont vivants tout à fait naturellement. Il n’y a aucun artifice pour le justifier. En emménageant dans sa maison, le personnage de Jane croise, rencontre, côtoie tous les personnages qui comptent dans sa vie, qui hantent sa mémoire, qui vivent avec elle, ou qui ont vécu avec elle.
Habituellement, je n’aime pas utiliser deux fois la même lumière. Sur ce film, par manque de temps, j’ai été obligé de le faire plusieurs fois ! J’ai pris un peu plus de temps pour les scènes avec peu de personnages, surtout dans les scènes dramatiques. Il m’est arrivé souvent d’avoir un Kino Flo ou un Black Jack (avec le pancake) à la main, et de suivre les acteurs pendant le plan. Une seule direction de lumière, un seul projecteur, des travellings qui passent d’une pièce éclairée à une pièce sombre, des changements de diaph pour s’adapter aux conditions de lumière parce qu’on ne peut pas faire autrement… Enfin souvent des compromis, à faire non pas la lumière qu’on devrait faire, qu’on a envie de faire, mais celle qu’on a le temps de faire.
La maison de Jane a été entièrement transformée et les choix pour le décor ont été primordiaux pour ton travail…
Jane a été très attentive au choix des couleurs des patines sur les murs : des verts soutenus, des rouges puissants, des ocres tachés d’humidité avec les traces laissées par les tableaux enlevés, claires ou sales, avec toujours de la matière. La qualité du travail sur ces couleurs m’a aidé pour la lumière, en me permettant de me concentrer sur les visages. Les cartons de déménagement servent aussi le dispositif scénique, créent des obstacles dans l’espace. Le décor dans ce genre de production c’est le seul luxe qui permet de maintenir son ambition. La collaboration avec le décorateur (Raymond Sarti) est essentielle.
Et Jane, comment conjugue t-elle la mise en scène et le jeu ?
Elle a appris par cœur son texte deux mois auparavant. Elle l’a appris dans la langue - anglais ou français - qui était la plus naturelle, suivant les séquences et les comédiens avec qui elle jouait. Le film est tourné dans les deux langues. Quant à la réalisation, elle a une manière très spéciale de pratiquer : Jane emploie toujours des mots plus poétiques que techniques, mais elle finit par placer la caméra et faire les plans qu’elle avait conçus avec une grande précision ! Elle a un grand sens artistique, dessine très bien. Elle dessinait les plans… dans le sens vertical, comme un portait, sans jamais pouvoir adopter le format allongé du cinéma, mais au fond, on peut très bien fonctionner comme ça ! Elle aime beaucoup les compositions radicales avec un personnage très gros, très près de la caméra et un autre loin dans la profondeur, les deux jouant en même temps.
Elle aime aussi les compositions très décadrées, les personnages très au bord du cadre. Jane avait toujours une idée très précise de ce qu’elle voulait. Il faut juste pouvoir trouver ce qu’elle veut voir. Quand il s’agit de technique, la méthode pour y arriver est souvent mystérieuse, mais elle guide très précisément le cadreur en se servant du moniteur. J’ai aussi été surpris de découvrir son œil à l’étalonnage, alors qu’elle ne connaissait presque pas cette étape du travail.